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  • Photo du rédacteurFranck JUNCKER

Musicothérapie en protection de l'enfance (cas clinique 1)

Anamnèse du patient

Béatrice est une jeune fille de 13 ans. Cadette d’une fratrie de 3 sœurs, elle est placée en MECS depuis février 2019. Elle a effectué un bilan psychométrique auprès d’un psychologue scolaire. Son fonctionnement intellectuel et cognitif se situe dans une zone de déficience légère. Elle est donc orientée en dispositif ULIS depuis son entrée en 6ème. Elle est discrète, a le regard fuyant et verbalise très peu ses émotions et ressentis. Elle semble parfois déconnectée et ne répond à mes sollicitations que par « oui » ou « non » et n’est pas très loquace. Elle participe sans rechigner aux séances de musicothérapie sans vraiment y porter un grand intérêt et est très passive.

Avec une certaine passivité, elle participe aux séances de manière assez mécanique, en restant très influencée par ses sœurs qui font partie du même groupe en musicothérapie. Elle est influençable et a du mal à s’imposer et à prendre la parole dès lors que la confusion ou l’excitation gagne le groupe. Béatrice a de bonnes relations dans le lieu de vie dans lequel elle réside à la MECS, ses sœurs n’étant pas dans le même groupe de vie qu’elle. Les éducateurs que je rencontre chaque semaine avant la séance me rapportent qu’elle vit bien dans le groupe, a des camarades et est bien intégrée. Elle attend les séances comme une rencontre et des retrouvailles avec ses sœurs.

Concernant le contexte parental, Béatrice a vécu dans un contexte familial chaotique et violent. Après une mesure d’assistance éducative à domicile en 2017, les travailleurs sociaux ont demandé la protection des enfants en MECS. Les parents n’ont pas de limites. Ils frappent, crient, attachent, privent de nourriture dans une forme de toute puissance assumée. Ils en parlaient librement aux professionnels de la santé, au CMP par exemple où était accompagnée la plus grande de leur fille.


Les prises en charge en musicothérapie


Mise en place

La prise en charge en musicothérapie a été décidée en accord avec la psychologue de la structure et concernait l’amélioration des liens de fratrie. Béatrice a donc participé avec ses 2 sœurs à des séances hebdomadaires en groupe avant d’être prise en charge dans un second temps en individuel. Avant le début des ateliers, chacune des filles a rencontré la psychologue qui a expliqué les modalités des séances et expliqué l’intérêt de la musicothérapie. J’ai pour ma part fait une introduction rapide rappelant ces modalités lors de notre première rencontre.

Objectifs

Le travail avec Béatrice s’est déroulé en 3 temps. D’abord en groupe avec ses sœurs puis en individuel et à nouveau en groupe pour un retour vers la fratrie. Dans un premier temps les objectifs étaient de prendre conscience de son état du moment, de prendre conscience de son corps, d’affirmer sa personnalité, observer et accepter le silence et les sensations qu’il provoque, se concentrer sur une consigne simple, exprimer ses émotions et devenir autonome pour renforcer son estime de soi.

Modalités

Le cadre : MECS dans la salle de Fêtes. Les séances ont lieu pendant 2 mois en groupe avec les sœurs, 2 mois en individuel puis un retour en groupe de 2 mois afin d’analyser les différences de comportements en étant seule ou en fratrie.

Séance type

Les premières séances sont assez confuses et je dois instaurer un climat de confiance entre le groupe et moi. En protection de l’enfance, les jeunes sont assez méfiants à l’égard des adultes et je souligne que je représente assez aisément la figure du père (absent, défaillant dans la parentalité et violent), étant de la même génération que ce dernier.

Cependant grâce à des temps d’écoute et d’autonomie que je permets aux enfants, la confiance nait et elles m’acceptent toutes assez rapidement. Ainsi après un temps d’accueil et de bavardage s’assimilant presque à un moment de décharge tant la nervosité est présente, je structure mes séances avec un temps de relaxation, un tour de paroles sur l’état émotionnel, les envies et les besoins du moment.

Je propose ensuite des jeux d’introduction (jeu des prénoms, jeu de mimes, faux langage des signes…), des jeux de petites percussions (claves, grelots, bongos, maracas, shakers…) et des temps d’écoute musicale (musique imposée et choix des enfants) ponctuée de chants.


Observations


En groupe

Au fil du temps et des 8 séances prévues, je constate des états thymiques très variables et il faut plusieurs minutes pour que les séances se mettent en place. Après quelques explications très simples, je laisse place aux jeux. Les 3 sœurs semblent bien s’entendre, Béatrice étant ravie de revoir ses sœurs ainées. L’attitude initiale de méfiance à mon égard se traduit par une grande solidarité entre elles et créée une illusion groupage favorisant le cadre sécure.

Après les temps d’introduction, de silence et de calme et l’observation de ce que chacun fait de ces moments, et face aux difficultés de compréhension, j’en déduis que cette fratrie a besoin de jeux moins structurés, avec moins de consignes verbales et plus de simplicité. Je rappelle que ces jeunes filles souffrent d’un léger retard global du développement ce qui sera démontré de manière assez significative lors de l’utilisation des petites percussions avec des problèmes d’arythmie ou d’utilisation très basique de baguettes sur les tambours…

Les qualités gestuelles sont minimes, la compréhension des consignes est difficile, la structure rythmique et les variations sonores étant à chaque fois un point d’arrêt du jeu en cours. Cela impacte directement le comportement des enfants avec des remarques insolentes, de l’agressivité, des comportements inadaptés et réducteurs les unes envers les autres à l’opposé de la cohésion initiale. D’un point de vue non-verbal, j’observe des signes de lassitude et d’ennuis mais aussi une grande monotonie, une répétition des mouvements fréquente (même ceux qui sont incohérents), les capacités de concentration étant quasi-nulles.

Dans ce cadre, Béatrice est directement impactée et est la première à se mettre en retrait et se retirer du groupe pendant les moments de tension. L’attitude est variable et Béatrice peut passer par des instants où elle râle par frustration pour ensuite rapidement se mettre à rire bêtement de la situation. Ces rires semblent nerveux et conditionnés par un sentiment de gêne.

Avec les boomwackers et à l’initiative de Léa sa grande sœur, elle a finalement pu jouer des mélodies plus infantiles comme « Au clair de la lune ». Si ces moments semblaient joyeux, ils se sont souvent transformés en décharge motrice puis en conflits prolongés, les boomwackers servant parfois de projectiles ou de bâtons pour frapper sa voisine. Ces comportements violents et agressifs faisant référence au non-respect des règles de la vie familiale, puisque totalement absentes depuis de longues années.

Béatrice semble ne pas pouvoir accomplir ce que ses sœurs proposent et ne prend aucune initiative, et ses comportements sont parfois inappropriés pour une fille de 11 ans. Elle manque de repères fondamentaux et de ressources familiales correctes.

En individuel

Pour ces séances, les moyens utilisés sont légèrement différents. J’apporte de nouveaux médias sonores comme l’utilisation d’un stéthoscope, un handpan et un djembé. Je propose également du dessin et de l’écriture sous induction musicale et poursuit les jeux de petites percussions (claves, grelots, bongos, maracas, shakers…) et l’écoute musicale en fin de séances.

Après 8 semaines de séances en groupe, Béatrice m’accompagne facilement mais comme à son habitude elle a le regard fuyant et verbalise très peu ses émotions et ressentis. Les premières séances se déroulent dans le calme mais l’apathie d’Béatrice semble constante et sa seule réaction a lieu au moment d’utiliser les stéthoscopes « qui font mal aux oreilles ». A l’écoute de son cœur qui bat, elle reste apathique et ne parle pas ou peu, exception faite qu’elle trouve l’expérience « intéressante ». La question qui se pose concernant les séances est celle du lien thérapeutique.

Comment entrer en relation avec Béatrice et l’amener vers le dialogue aussi bien avec moi qu’avec ses sœurs en se considérant à la hauteur sans se dévaluer ?

C’est avec le Handpan qu’une partie de la solution va apparaitre. Béatrice semble apprécier cet instrument dont elle me demande « comment l’utiliser ? » ! C’est de mon point de vue, un énorme pas en avant car elle peut poser en verbalisant une question en confiance et sans la peur des reproches comme cela était souvent le cas dans les séances collectives avec ses sœurs.

Je lui propose de découvrir l’instrument, ce qu’elle fait avec plaisir mais non sans gêne car « c’est bizarre comme son », et un certain agacement car « elle comprend rien ». La rhétorique d’Béatrice est simple, elle se dévalue en permanence mais je maintiens le rythme et le contenu des 4 premières séances pour permettre à Béatrice de se rassurer et lui donner la possibilité de s’exprimer. Elle doit retrouver confiance en elle et apprendre à se positionner face à une difficulté, notamment dans la relation à l’autre, ce qui se confirme lors du jeu avec le Handpan qu’elle s’approprie petit à petit. Les séquences sont courtes et parfois avec du découragement mais à chaque nouvelle rencontre, son jeu est différent, plus calme, plus lent, ce qui corrobore avec les objectifs d’écoute et d’expression que je souhaite pérenniser avec elle.

Après quelques semaines, Béatrice est plus calme et plus en confiance même si comme souvent, les réflexions et les verbalisations sont les mêmes : « je suis nulle », « je comprends rien », « ça sert à quoi ». Par moment, elle prendre du plaisir quand elle entre dans un espace sécure, elle s’exprime sans la crainte de recevoir des reproches sur son comportement. Ainsi elle ose jouer, dire et même réagir face à des situations où elle n’est pas d’accord avec moi. Par mimétisme, je fais volontairement des erreurs dans le jeu musical, ce qu’elle s’autorise à me dire en souriant.

Je poursuis dans ce sens pour les séances suivantes en lui laissant beaucoup plus d’autonomie dans les choix. Cette option est concluante puisqu’à la fin de l’été, elle est capable de prendre la direction de la séance et de me suggérer des jeux musicaux en me répétant les consignes pour m’expliquer le jeu.

Evolution

Le retour des séances en fratrie est modifié. Une des 3 sœurs a exprimé à la psychologue et aux éducateurs son souhait de ne pas revenir. Pour le bien d’Béatrice et de son autre sœur, je valide ce choix avec la cheffe de service. Ainsi pour ce duo, je supprime les petites percussions et ne conserve que le moment de jeu autour du Handpan ou du Djembé et de l’écoute musicale car je préfère synthétiser et obtenir l’adhésion plutôt que d’entrer en conflit avec les enfants qui s’opposent la plupart du temps aux propositions.

Sur le modèle du jeu de société électronique « Simon », j’utilise le Handpan pour travailler sur les objectifs initiaux comme :

– se recentrer et se concentrer

– être entendu par son interlocuteur en s’exprimant de manière calme

– développer son attention en répétant des séquences sonores

– utiliser le ou les médias sonores pour exprimer des émotions primaires

– développer et améliorer certaines fonctions cognitives comme la coordination

– prendre l’initiative seul pour se sentir capable de s’affirmer et créer en groupe

Les filles attendent chaque semaine ce moment avec beaucoup d’impatience et le plaisir de se retrouver. Comme à chaque fois la séance démarre par un moment de décharge, mais nous réussissons à nous installer, assis tous les 3 autour de l’instrument. Béatrice propose le jeu avec le handpan à sa soeur et même si son caractère semble pouvoir s’affirmer, elle est cependant vite submergée par sa grande soeur lorsque celle-ci hausse le ton.

Le jeu autour du Handpan se traduit de la manière suivante :

– décharge et percussions violentes jusqu’à des cris

– jeu rapide et incompréhensible comme une opposition et une provocation (prouver à l’autre qu’il ne pourra pas réussir)

– temps de calme et de concentration puis du jeu posé, cohérent et créatif

– écoute et verbalisation des 2 soeurs autour de la séance et qui apprécient ce moment de cohésion

Nous avons répété ces séances pendant 2 mois à raison d’une fois par semaine.

Bilan

Béatrice semblait avoir le profil le plus concerné par tous les objectifs de départ, ce qui s’est confirmé au fil du temps. En séances collectives, elle s’est d’abord laissé enfermer par ses 2 grandes sœurs avant de prendre position et de tenter de comprendre l’intérêt de ma présence. Elle souffre clairement d’une très faible estime de soi, d’un manque de confiance aux autres. Les légers troubles cognitifs qu’elle semble présenter sont un vrai handicap dans la compréhension de consignes.

Elle a cependant répondu positivement aux propositions et au fil du temps, elle a pu s’affirmer, accepter de se confronter à ses sœurs et même tenter de prendre le leadership dans certaines situations. En séances individuelles, elle a semblé d’abord inquiète de se retrouver seule avec moi avant de répondre favorablement à mes suggestions. Je noterai ici que je me suis posé la question du lien vers l’attachement sans discrimination (peu de discernement face à un adulte même si celui-ci à une relation inappropriée) qui peut s’avérer dangereux, tellement elle a été d’accord avec toutes les propositions sans aucune opposition. Au pire, elle restait sans agir mais elle n’a jamais rejeté les propositions.

Béatrice est l’enfant qui a le plus évolué pendant ces 6 mois et qui aurait mérité que les séances se poursuivent.


L’ECLAIRAGE DU PSY : Emilie DUVILLARD, psychologue

L’anamnèse de Béatrice nous révèle un contexte familial maltraitant et conflictuel. Les postures parentales ont été inadaptées et ont créé des rivalités et des enjeux d’amour au sein de la fratrie. Ses figures d’attachements ont été malveillante participant ainsi à l’émergence de son anxiété sociale et sa méfiance (peur) vis-à-vis de l’adulte.

La difficulté pour l’intervenant/musicothérapeute est justement la mise en place d’un cadre sécurisant, permanent et prévisible rappelant ainsi les prémisses d’une construction de relation sécurisante avec un adulte. Les attaques du cadre, la méfiance des 3 jeunes filles sont les signes de cette insécurité psychique et de leur système défensif-adaptatif. Initialement développé par Bowlby à partir de 1958, les chercheurs et les praticiens, à travers le monde, ont continué à développer et appliquer les travaux sur la théorie de l’attachement. Par la suite, cette théorie a été étoffée par les apports d’autres auteurs, Mary Salter Ainsworth et Mary Main notamment. Depuis 30 ou 40 ans, de nombreuses recherches sont venues valider ses principes de base de sécurité interne et d’attachement (Guedeney A., 2002). La recherche consacrée à l’attachement a exploré les modes de relations depuis la première enfance jusqu’à l’âge adulte. Aujourd’hui nous savons que l’environnement relationnel peut changer positivement ou négativement les sentiments des enfants à l’égard d’eux-mêmes et à l’égard des autres.

Nous voyons qu’au début de la prise en charge, il a fallu modifier les contours de l’intervention pour s’adapter au plus près des besoins régressifs de ces jeunes filles. On observe ainsi une agitation motrice rappelant l’exploration du jeune enfant, un temps de relaxation permettant un centrage corporel et un apaisement, et le tour de parole venant signifier SA place par le langage dans le groupe.

Les difficultés qu’elles rencontrent à accepter l’erreur et à faire preuve d’empathie, sont les marques de leur manque de flexibilité mentale et d’adaptabilité. Béatrice, mais également ses deux sœurs, n’ont pas bénéficié d’interactions précoces suffisamment permanentes et prévisibles leur permettant de développer de manière satisfaisante leurs fonctions adaptatives. Elles se sont retrouvées à plusieurs reprises en situation de détresse et de grande inquiétude. Elles n’ont pas pu construire un sentiment de sécurité interne à chaque fois qu’elle se sentait en situation de stress. Ce sont aujourd’hui des jeunes filles anxieuses et dispersées. Il en résulte alors une grande dépendance au cadre externe. L’internalisation des expériences insécurisantes a provoqué chez ces enfants des difficultés dans leurs compétences cognitives, sociales et affectives.

La transformation du cadre, c’est-à-dire d’une intervention groupale en intervention individuel, a permis l’instauration d’un cadre sécure indispensable à la réussite de la prise en charge. Nous pouvons voir dans le cas de Béatrice et de ses sœurs tous les effets bénéfiques qu’apportent une réflexion autour d’un cadre sécurisant où le lieu (contenant, chaleureux), le rythme (régulier) et les rituels sont pensés. Le maintien du rythme et du contenu des séances crée une répétition rassurante pour Béatrice.

Avec le Handpan, outil musical intriguant et facilement maniable, Béatrice s’autorise à expérimenter ses mouvements et à explorer la relation à l’autre. Elle laisse de plus en plus de place à la relation et au désir. Béatrice gagne en confiance et en plaisir dans la relation duelle.

Le bilan de cette intervention nous suggère qu’Béatrice est arrivée inhibée, angoissée et découragée dans le groupe avec ses sœurs et qu’elle en est sortie plus confiante en ses capacités, plus valorisée par ses productions et ce qui lui a permis d’émettre des opinions et d’agir en sécurité. L’impact délétère des traumatismes infantiles nécessiteront beaucoup plus de temps pour se résorber et se dépasser. La musicothérapie dans un contexte si blessé et traumatisé, permet de se re-trouver, de se re-pérer pour mieux se réparer


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